artiste plasticienne

avec un parcours classique (Ensba Paris, aide à la création, résidence exposition dans des musée nationaux, galerie, fondation…), Elisabeth Gerl a décidé il y a 15 ans d’intégrer la dimension sociale à son travail artistique et de « faire œuvre » au travers l’élaboration de dispositifs sociétaux (création de tiers-lieux, implication dans un organisme de formation, …). Son œuvre actuelle déborde largement de la seule sphère culturelle pour inclure la dimension intime et laborieuse. Elle tisse des passages poétiques et métaphoriques au travers du dessin, de la sculpture et de la photographie entre les différents axes de ses œuvres, ouvrages et expériences collectives. La langue et le jeu de lettres jouent une fonction particulière dans son travail, constituant des nœuds autour desquels s’articulent ses « faire ».
















« Autour d’elle les mots, les lettres ont le pouvoir de devenir des objets, des objets de pensée, mais aussi le plus concret des formes. Une institution peut être en terre cuite, émaillée et passée au four, tandis qu’un bar, objet d’art en contreplaqué, devient un radeau, un lieu de convivialité, et qu’il en profite même pour changer d’économie en élargissant l’art à l’économie sociale et solidaire.
Elle tricote (féminin), bricole (masculin), hybride dans un paysage dont les éléments sont : la vie, les sciences humaines, l’information, le politique, la psychanalyse. Pour moi la nature de son travail est là, en actes, au carrefour de l’œuvre et de l’activité. Il ne s’agit jamais de choisir, ce n’est pas l’activité qui fait l’œuvre et/ou inversement, c’est plus complexe. »



Marc Pataut , photographe








VVue de l’exposition lieu et lien, IRTS de Franche comté, 2018, fil et bois.






A partir de 1996, Elisabeth Gerl a fait l’expérience de lieux de vie, petites structures alternatives à la psychiatrie. Il s’agissait de produire des objets avec la collaboration des habitants de ces lieux de vie : accueillis, accueillants, intervenants, enfants et adultes. Ce grand voyage à travers la France, fait d’allers et retours avec les institutions artistiques, a donné naissance à des pièces, documentaires et poétiques.








Je vais exploser ma manière, format DVcam, 12minutes, 1999.








Le Bar, hommage aux lieux d’accueil, fabriqué pour l’exposition Des territoires est une commande, qui condense l’expérience des lieux d’accueil. 

C’est un paravent monumental de huit mètres de long, composé de quatre blocs, peint en trompe l’œil à la peinture à l’huile : dans ses veines, des milliers de dessins. Cette forme-support qui rassemblait ses expérimentations s’est ensuite déplacée dans d’autres lieux d’exposition, enrichie d’attributs (« somme », « menus »), de compléments (« gaines », « sculptures »). C’est avec cette grande barre, qui barre la vue, qu’elle est devenue artiste-femme, entre œuvres et activités. 



Ainsi « Le Bar » rentrait dans sa mythologie.




















Elle a quitté l’art institutionnel après avoir participé à l’exposition de photographies À côté rêve un sphinx accroupi au musée du Louvre. « Je ne voyais plus l’intérêt de couvrir d’images des murs aveugles sans autre ancrage social, malgré l’immense importance que j’accorde aux espaces d’exposition. » avoue-t-elle.  


Fondation Icar, mai-juin 2002









Fondation Icar, mai-juin 2002

Puis elle s’est  « barrée » 

Elle est partie vivre à Besançon, embarquant un bloc du bar.

Se barrer, c’était s’effacer de la liste des artistes homologués. Mais l’inscription s’est déplacée. L’« ar(t)_» du bar l’a suivie. Il s’est déposé inconsciemment dans chaque prénom de ses enfants : Maria, Carmen, Lazare. 






Un jour, elle a transformé « Le Bar » en véritable comptoir et a fait un café autour. 


Enfants, ville, 2015, photographie argentique.






Le café des pratiques, 2012, photographie numérique



Le café des pratiques, lieu de jeux et de fabrications, invente une nouvelle forme d’hospitalité. Elle l’a ouvert avec l’aide d’une amie japonaise, Maki Ishii, il y a 14 ans, sur la rue, en bas de chez elle, dans un quartier intermédiaire de Besançon. Ce lieu accueille en moyenne trois cents personnes par semaine autour de pratiques : il crée du lien social et développe l’invention individuelle ou collective. Il s’est lui-même doté « d’attributs », base, école, jardin, habitat, maison d’édition.



















Le café des pratiques, 2020, photographie numérique








Le café des pratiques, 2022, photographie numérique






La méthode qu’elle entreprend pourrait se dire ainsi : « Je pose l’activité et j’y inscris l’œuvre ». Poser et exposer l’activité, c’est produire un bloc d’expérience(s) ou, plutôt, son équivalent. Elle a posé et transposé le Bar dans des lieux différents : des ateliers, une salle d’exposition, un café. Le Bar s’est décliné. Il est entré dans un autre espace, sans lieu défini, composé de jeux de lettres. 





Nom, masculin/féminin (le bar, la barre) et verbe (se barrer) se combinent sans doute comme les deux temps d’un processus, auquel viendra s’ajouter le bar ou loup de mer qui peut être commun ou tacheté. Et quand on le cuisine et le mange, il ne reste que l’arÊTE.


L’arÊTE , ou l’art d’Être Tous Ensemble est une structure culturelle, atelier partagé et matériauthèque qui ouvre des espaces poétiques, rend possible des émotions et crée du commun autour de l’art.

Tout en s’intéressant de près aux spéculations mythopoétiques sur l’origine du langage, à la poésie visuelle, elle amasse un corpus d’images photographiques, filmiques, dessinées et d’objets sculptés, s’enroulant autour de sa propre mythologie.







le café des pratiques
























« Elle prit la mesure des conformismes et de l’inertie ordinaire des circuits de production artistique. Elle n’avait pas pris le pli. Elle préféra s’éloigner, « se barrer » pour tester ailleurs le Bar des possibles, ou ce qui en restait. »



Jean-François Chevrier, critique et historien de l’art.














©Elisabeth Gerl







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