Broder





Elles sont toutes une histoire. Elles sont opportunistes, tirées du néant par quelques fils tendus. Elles apparaissent avec la rencontre d’un support, grille, maille, objet ou de matières emmêlées, colorées. Prendre ces rebuts à pleines mains, les rassembler. Puis les sortir du sac et les épuiser jusqu’à disparition. Composer et réunir en un tout. Le désir est matière. La mise en œuvre de ces matières en un grand tout.

C’est la trouvaille qui me permet de démarrer, le début de quelque chose, la trouvaille fait que ça arrive.

Il y a une détonation, un prétexte qui amorcent : un filet récupéré sur la plage au moment de la création de l’arÊTE, des fils ramassés après une chasse aux œuf, un tableau de famille apporté par une inconnue, un  filet de patate…La broderie est alors nourrie d’une situation particulière. Le sens se fait forme

La broderie se développe. J’y introduis toujours de nouvelles matières, des morceaux glanés, des petits dons. Je crochète, noue, assemble des reliquats, quand je me sens bien sur place, dans le train, à table, en faisant la queue, et d'autres m’imitent. Je donne goût. Alors je récupère ces petites choses produites pour rien. Amorce de projet que j’intègre dans mon ouvrage. Traces des uns et des autres.



























Il y a urgence à faire. Réparer à l’aiguille, réconcilier. Je raccommode, rapièce les délaissés. Dans un café, ça pourrait se passer, s’accommoder avec les autres, remettre en état. Là, je choisis le replis, mais toujours avec la même méthode, je couds, je noue, je colle les pièces entre elles avec mesure. Et j’ajoute jusqu’à ce que cela ne paraisse plus briser. J’organise un paysage

Comment il émerge ? Un peu comme un dessin très long sur lequel on ne peut pas se tromper, car toujours on y revient. On peut toujours repasser par-dessus, un peu comme la peinture à l’huile, on remet des couches, jusqu’à ce que l’étoffe se tienne. Des surépaisseurs, mais avec un geste moins ample. Alors on doit retrouver la vitalité autrement que par l’énergie posée, par la vibration du point.

Il y a une double échelle, surtout pour les grands formats.
Une vision éloignée qui porte le motif, souvent il est le fruit du hasard, il m’échappe. C’est ce qui motive le spectateur, qui mobilise son œil, qui donne du sens au regard.

Et puis il y a de minuscules scènes, qui se dessinent à chaque point posé. A la loupe, je compose des morceaux qui sont invités à se transformer.
A un moment je m’arrête, pas tout à fait comme un tableau ou un dessin, où ça se cristallise. Il y a dans ces milliers de touches , une infinité de possibles, les contours de la fin sont flous. Il y a une décision à stopper là, prise aussi face au désir de recommencer.




















©Elisabeth Gerl / 2025 / designAIR